Aucune nostalgie à avoir... juste pour réfléchir...
Il y a 60 ans, la fermeture des maisons closes
LEMONDE.FR | 13.04.06 | 09h05
Il y a 60 ans, le 13 avril 1946, la loi Marthe Richard abolissait en France une institution bourgeoise : le bordel légal, encadré par la police et soumis aux contrôles sanitaires. Un an auparavant, 1500 maisons closes étaient encore répertoriées en France dont 177 à Paris. La loi Marthe Richard, qui porte le nom de l'égérie de cette campagne anti-bordel, conseillère de Paris, les interdit toutes sous six mois.
Elle met fin à un système datant de 1804 qui donnait une existence légale aux maisons de débauche, cachant les prostituées - considérées comme membres des classes dangereuses - derrière des portes closes pour préserver la morale, à l'ère de la bourgeoisie triomphante.
Les "filles soumises", dont certaines exerçaient aussi dans la rue aux côtés de milliers de clandestines ou "insoumises", étaient également contrôlées sur le plan sanitaire pour protéger les "michetons" (clients) des ravages des maladies honteuses, comme la syphilis. Un système dans lequel les "tauliers" avaient besoin de la mansuétude de la police et se transformaient souvent en indics.
Certaines maisons closes étaient de véritables assommoirs du sexe comme le Moulin Galant à Paris, ou encore le Panier fleuri, où les passes étaient minutées et fixées à 70 par jour au minimum, sans hygiène et sans intimité. Il y avait aussi des "claques de seconde catégorie" comme la Maison Tellier et ses clients notables et ecclésiastiques décrits par l'écrivain Maupassant et enfin des établissements de luxe, le Chabanais ou le One Two One, où "filles" et "consommateurs" étaient triés sur le volet.
Le Chabanais s'est même vu attribuer un rôle stratégique dans les relations franco-britanniques car le Prince de Galles y avait une chambre très particulière avant de devenir Edouard VII et de signer l'Entente cordiale. Les Rois et les présidents de passage y étaient conviés sous la rubrique "Visite au président du Sénat". Entrée dans les moeurs, la maison close est alors au coeur des arts : le peintre Toulouse-Lautrec est installé dans la "taule" de la rue des Moulins, Van Gogh peint le "Lupanar d'Arles", Zola écrit Nana, Goncourt La fille Elisa, Piaf chante "les marlous" et leurs "marmites".
Les portes closes cachent une réalité de violence morale et physique avec pour toile de fond traite des femmes, passages à tabac, alcoolisme et drogue. Les prostituées, appelées "colis" par les "courtiers", sont revendues de maison en maison, soumises à une discipline et une hiérarchie militaire. Elles doivent acheter leurs tenues, leur linge, leurs produits d'hygiène à la tenancière qui les maintient dans une spirale d'endettement, leur prend le prix de chaque passe, les soumet à des amendes.
Mais, en 1946, les maisons closes, déjà sur le déclin, succombent davantage à la répression d'après-guerre contre la mafia des tenanciers, proche du régime de Vichy et des occupants allemands et organisatrice du marché noir, qu'à l'humanisme ou au féminisme ambiants. "Durant l'occupation, les maisons de tolérance ont été des centres actifs de trahison, leurs tenanciers, des pourvoyeurs de la Gestapo", lance notamment Marthe Richard, citant le One Two One, qui accueillait les criminels dans ses alcôves.
La loi de 1946 rend la prostitution moins visible, sans pour autant la supprimer. Les filles, flanquées de leur proxénète, rejoignent la rue, la clandestinité ou des "maisons de rendez-vous" comme celle de Mme Billy, rue Paul Valéry, qui survivra jusqu'en 1978. Depuis 60 ans, réglementaristes et nostalgiques ne cessent de demander le retour des maisons closes.
Avec AFP
Les grandes dates de la prostitution en France depuis le 19ème
<b>1804 :</b> mise en place du système de la Tolérance. Un arrêté préfectoral prévoit que les pensionnaires des maisons seront examinées par un médecin deux fois par mois. Les tenanciers sont souvent utilisés comme indics.
<b>1926 :</b> la ville de Strasbourg décide de fermer ses bordels, suivie quatre ans plus tard par Grenoble.
<b>1940 :</b> le gouvernement de Vichy accorde un statut aux tenanciers des maisons closes qui se montrent à leur tour très accueillants avec l'occupant allemand et contrôlent le marché noir.
<b>13 avril 1946 :</b> la loi Marthe Richard consacre la fermeture des maisons de tolérance.
<b>1949 :</b> l'Onu adopte la convention internationale pour la "répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui". Son article 6 interdit théoriquement toute légalisation de la prostitution.
<b>1951 :</b> le sénateur de la Gironde Jean Durand fait une première demande officielle de réouverture des "maisons". Michèle Barzach (RPR) en 1990 et Françoise de Panafieu (UMP) en 2002 relancent le débat et provoquent un tollé.
<b>1958 : </b>le délit de racolage (prévu par la loi de 1946) est abrogé et devient une contravention.
<b>1960 : </b> la France ratifie la convention de l'Onu et supprime le "fichier sanitaire".
<b>1975 :</b> des prostituées obtiennent la fin du fichage policier qui permettait les contrôles sanitaires après avoir occupé des églises.
<b>1989 :</b> la chute du mur de Berlin marque le début d'une explosion de la prostitution venue d'Europe de l'Est.
<b>2003 : </b> la loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy entre en vigueur. Rétablissant le délit de racolage public "actif" et "passif", elle est très décriée par les prostituées et les associations abolitionnistes.
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