Il y a des dates comme ça. De celles que l'on retient.
11 avril 2009, un dimanche. Le temps est au gris, température douce, pas de pluie. Une belle journée pour la tabasse à vélo. A la perception du matériel, on s'observe, on se jauge, on s'enfume :
"-Et toi, tu roules comment ?
-Oh, j'ai un beau vélo mais pas les jambes qui vont avec.
-C'est ça, c'est ça...
-Promis, c'est vrai."
Bref, les discussions habituelles.
"-On part tranquille et on finit cool ?
-Ouais ouais, j'ai les jambes lourdes."
Tu parles, 8 km d'échauffement et pan ! C'est parti comme à Stalingrad, ça tombe de partout, les gros ont emmené les leaders à fond la caisse jusqu'aux pentes rudes du premier col et là, une boucherie
Un carnage
Le goût du sang dans la bouche et la sueur salée qui pique les yeux, 3 ou 4 débiles qui s'envolent et les autres qui rament, une histoire classique de rilliette, une journée sans histoire quoi...
Hein ? Quoi ? C'est pas fini ?
Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Quoi, la côte d'Eyzahut ?
Il faut la rebaptiser la côte de la liquéfaction ?
Mais que s'est-il passéééééé nom d'une pipe en bois ?
Alors que nous en sommes au 70eme kilomètre, dans ces eaux-là, se dresse devant nous le petit village pittoresque d'Eyzahut (que Piépié ne saura jamais retenir d'ailleurs). Et là monsieur Grandjean, comme quoi la nature est formidable, on voit grimper en sifflotant Seb, le Duck et Piépié, ils attaquent les premiers contreforts de cette côte de 4km en bavardant gentiment mais en moulinant quand même.
Attends, on a bien dit Seb, Duck, Piépié... Bah !? Il est où Bip-Bip ?
Ah, il est là... Juste devant... C'est bizarre, il est pas avec les 3 à discuter.
Je le double, facilement, en me demandant l'espace d'une demie seconde ce qu'il lui arrive... Une défaillance ? Im-po-ssible ! Bip-Bip est indestructible, il nous a tout appris, il fait plus de km à vélo que moi en auto, il pèse 15kg de moins que moi, il grimpe les cols les plus durs en se recoiffant, cet homme est né avec un vélo (dur l'accouchement)... Je ne le regarde même pas en le dépassant. Je pense qu'il attend quelqu'un ou que ses freins sont bloqués, dans 2 minutes il devrait me repasser en m'enrhumant.
Allez, j'oublie Bip-Bip, inutile de lutter et j'essaie de grimper au maxi de mes possibilité, soit pas très vite mais j'arrive honorablement en 4eme position à Eyzahut....
Et Bip-Bip ne m'a pas repassé. Bon, il a du recevoir un coup de fil finalement, il a fait demi-tour, il a crevé, c'est pas de bol quand même.
Premier sujet arrivé en haut :
Piépié :"-Il est où Bip-Bip ?
Moi : -Je l'ai doublé en bas, c'est bizarre, et il a pas l'air derrière.
Piépié : -Je n'ai jamais vu Bip-Bip avoir une défaillance, ni à pieds, ni à ski, ni à vélo.
Moi : -Il devait avoir envie de monter tranquillou."
Les minutes s'égrènent, chacun arrive en haut puis en queue de peloton, Bip-Bip.
"-Oh Bip-Bip ? Ca va ?
-Ah non les gars pas du tout, j'ai pris un coup de barre.
"
Quoi ?
Et moi qui l'ai doublé sans même en profiter... Ceci ne se reproduira peut-être jamais et je n'ai pas pris conscience de l'événement.
Meeeeerde !
Je vous passe les moqueries, les vannes, les insolences qui succédèrent à un moment de solennité non feint, à un silence que seul vint briser le couinement du vélo de SamSam, à un moment de recueillement unanime et spontané.
Ce 11 avril restera gravé dans le coeur des rilliettes, non pas comme le jour où nous aurons réussi à terrasser Bip-Bip mais comme le jour où Bip-Bip nous a rappelé que lui aussi, il pouvait en baver, et ça, ça rassure.